Le TasP vu par les couples sérodifférents

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« Que font les autres couples ? »

Depuis quelques années, de nouveaux termes émergent dans le milieu de la prévention du VIH. D’abord un discret « TasP » (traitement comme prévention en français), peu compréhensible pour les non-initié·e·s. Puis la notion de « charge virale indétectable », qui auparavant restait confinée aux services d’infectiologie. Jusqu’à un slogan emprunté à une campagne de sensibilisation américaine, introduit en France par l’association Aides lors d’une Séropride à Nantes en juin 2017 : U=U (Undetectable = Untransmissible). Parfois traduit par I=I (Indétectable = Intransmissible), cette formule marque une avancée considérable pour les personnes vivant avec le VIH et leurs partenaires. Elle signifie qu’une personne séropositive bénéficiant d’un traitement VIH efficace et dont la charge virale (quantité de virus dans le sang) est indétectable depuis plus de six mois ne peut plus transmettre le virus.

Lentement mais sûrement, après de nombreuses études réalisées sur plusieurs années auprès de couples sérodifférents (un-e partenaire est séropositif-ve, l’autre pas), dont la plus connue est sans doute l’étude Partner (2015), l’idée a fait son chemin tant auprès des associatifs que des médecins spécialisés dans la prise en charge du VIH.

Mais ce nouveau paradigme se heurte à trois difficultés. D’une part, l’accès du grand public à l’information concernant le TasP est encore malaisé. D’autre part, et c’est plus dérangeant, l’information ne parvient pas toujours aux personnes vivant avec le VIH et à leurs partenaires. Enfin la peur de transmettre ou d’être contaminé peut persister malgré une information et une éducation thérapeutique.

Car l’information liée au TasP vient remettre en cause des certitudes et des modes de fonctionnement profondément ancrés. L’imaginaire collectif du VIH comme maladie hautement transmissible dans la sexualité est un statu quo qu’il est difficile d’ébranler.

Sur le numéro vert de Sida Info Service, les écoutant-e-s échangent régulièrement sur ce sujet. Environ 5% des appels reçus sur les 11 premiers mois de 2018 abordent le traitement comme prévention. Les appelant·e·s sont majoritairement des hommes (83 % pour 17 % de femmes), dont 64 % ont moins de 40 ans. Les témoignages recueillis sont d’une grande richesse, et permettent de mesurer les bouleversements et les questionnements que génèrent chez les personnes concernées les nouveaux discours autour du VIH.

Les couples sérodifférents existent depuis le début de l’épidémie, et leurs questionnements ont évolué avec la prise en charge du VIH : l’apparition des trithérapies, la diversification et simplification des traitements, et aujourd’hui le TasP. Si s’installer dans un couple présente toujours une forme de négociation, la séropositivité d’un-e des deux partenaires peut être un facteur complexifiant.

S’engager dans une relation

La persistance de la sérophobie dans notre société entraîne une stigmatisation accrue des personnes vivant avec le VIH et mène parfois à un isolement. Aujourd’hui encore, la séropositivité reste une annonce, un aveu à faire lors d’une rencontre amoureuse. Cette annonce est souvent rendue difficile par la peur du rejet, comme en témoigne cette femme à qui le partenaire vient d’annoncer sa séropositivité :

« Mon ami que je connais depuis plusieurs mois, ne voulait pas avoir de rapport sexuels avec moi... Comme je ne comprenais pas le pourquoi, je lui ai posé un ultimatum... Et il m'a avoué qu'il était porteur du VIH. Pour moi cela ne change en rien les sentiments que j'ai pour lui... Mais je vous avoue que je suis un peu niaise sur le sujet... Est ce qu'il a raison d'avoir peur de me contaminer si on enlève le préservatif ?? » (F, 62)

Aujourd’hui, la notion d’indétectabilité a le vent en poupe dans les milieux des « initié·e·s » du VIH. Par conséquent, il est facile d’imaginer que toutes les personnes séropositives, enfin libérées du joug de la transmission, vivent aujourd’hui une sexualité épanouie. Nous pouvons voir avec ce témoignage que ce n’est pas toujours le cas. L’évocation du VIH peut provoquer une véritable rupture dans la façon d’aborder sa vie affective et sexuelle. Les discours rassurants sont parfois insuffisants pour surmonter les inquiétudes ou les préjugés. De plus, avoir une sexualité sans préservatif représente une négociation complexe entre l’information médicale et le ressenti des deux partenaires. Le début d’une sexualité sans préservatif, parfois après des années de couple, peut générer des angoisses imprévisibles :

« L'appelant est en couple depuis 15 ans avec sa femme qui est elle-même séropositive depuis 15 ans. Ils ont eu pour la première fois un rapport non protégé il y a quelques mois. Sa femme est indétectable depuis 2-3 ans. L'appelant est inquiet car il a des symptômes (diarrhées, boutons, état fébrile...) depuis quelque temps » (H, 62)

Plusieurs stratégies peuvent être mises en place pour dissiper ces inquiétudes. Souvent, le discours sur le TasP est mieux entendu et intégré lorsqu’il vient du médecin spécialisé qui prend en charge le ou la partenaire. Le rendez-vous en couple a donc un rôle important à jouer dans ce processus.

Mais entre un discours médical généraliste et la vraie vie, il y a parfois tout un monde. Les écoutant·e·s de Sida Info Service peuvent jouer un rôle d’écoute et de soutien afin de faire émerger des problématiques cachées derrière une demande de réassurance ou d’informations. Comme celle de cet homme qui perçoit la peur de son partenaire et ignore comment l’aborder avec lui.

« J’ai vu mon médecin avec mon partenaire. Il lui a confirmé que je ne suis pas contaminant... Oui je suis séropositif depuis plusieurs années et indétectable. Mais le problème, c'est que je sens qu'il n'est pas forcément bien depuis qu'on a eu ce rapport non protégé... Et je sens qu'il n'ose pas en parler... C'est lui qui veut faire sans préservatif... Mais malgré tout c'est l'aspect psy du moins la peur… Pour moi aussi, j'aimerais pas qu'il prenne sur lui... » (H, 29)

Des questionnements épineux qui abordent la relation dans sa profondeur chez les uns côtoient des demandes plus prosaïques chez les autres :

« Est-ce qu'un jour je peux avoir un enfant avec lui ? Est-ce qu'il tombera malade souvent ? Est-ce que je dois prendre la PrEP ? […] Est-ce que je dois continuer faire des tests vih tous les 3 mois ? » (F, 27)

Ces demandes parlent souvent des préoccupations et des attentes projetées sur la vie de couple. Il est nécessaire pour les faire affleurer de dépasser une approche uniquement centrée sur le médical et le risque.

Cela permet de soulever le manque cruel d’espaces de paroles et d’échange autour des expériences des couples sérodifférents. Quelques initiatives existent néanmoins sur le web, sur le forum de Sida Info Service ou encore sur la plateforme Séronet.

La multiplication de ces espaces, en ligne ou non, permettrait aux personnes d’échanger sur leurs expériences et, peut-être, de réaliser qu’à cette question souvent posée, « que font les autres couples ? », il existe une multitude de réponses.

A. Terreaux,

Article rédigé en collaboration avec l’Observatoire de SIS-Association